
Veuf de Jean-Louis Fournier – Stock, collection La Bleue, octobre 2011.
Quatrième de couverture : « Je suis veuf, Sylvie est morte le 12 novembre, c’est bien triste, cette année on n’ira pas faire les soldes ensemble. »
Mon avis : dans mon entourage proche, beaucoup de personnes nous ont quitté ces dernières années, ces derniers mois. Mon oncle fut le dernier, la semaine dernière. J’ai emporté ce livre avec moi pour le lire dans le train qui me conduisait en Bretagne, pour un aller-retour afin de lui dire au-revoir. Dans ma famille, c’est surtout des veuves qui ont du traverser cette douloureuse épreuve qu’est le deuil. Mais que ce soit Jean-Louis Fournier, ma mère, mes tantes, … ou moi, on s’y retrouve tous. Chacun réagit comme il peut, et non pas comme il doit. J’ai beaucoup beaucoup beaucoup aimé ce roman, car, avec une petite touche d’humour, c’est un très bel hommage que rend l’auteur à sa femme. A LIRE ABSOLUMENT !
Morceaux choisis :
« Quand je voulais te mettre en colère je disais que tu étais une bonne ménagère. Tu rangeais tout et je ne retrouvais rien. Aujourd’hui je n’ai plus rien à perdre. » (p.39)
« J’ai reçu un questionnaire du crématorium du Père-Lachaise, ils veulent savoir si j’ai été satisfait des prestations. Je dois mettre des croix dans des petites cases, de “ insatisfait ” à “ très bien ”. On demande aussi mes observations et mes suggestions. Tout est passé en revue, l’accueil, la courtoisie, le choix des textes, le choix des musiques. il y a aussi un service traiteur. A la rubrique “ suggestion ”, je vais proposer un barbecue géant.
Je dois noter le maître de cérémonie, sa tenue, son savoir-faire, sa courtoisie. Le nôtre était bien dans la note, il avait une tête d’enterrement, ce qui est la moindre des choses, il était vêtu sobrement, pas de couleurs vives, un peu triste. Ensuite, on parle de la salle, du décor. On demande si la remise des cendres s’est bien déroulée… Qu’est-ce que ça peut être, une remise des cendres qui se déroule mal ? Une erreur de cendres, une urne qu’on renverse ?
Pour la fin, je garde le meilleur : “ Recommanderiez-vous le crématorium du Père-Lachaise à vos proches ? ” (p.40-42)
“ J’ai été amputé de toi sans anesthésie. On m’a retiré ma moitié, ce que j’avais de mieux. Je m’arrose de ton parfum pour que tu repousses.” (p.43)
« Depuis que tu es partie, j’ai pu compter jusqu’à sept millions neuf cent quarante-huit mille huit cents. Tu as eu le temps d’aller te cacher loin. Je cherche partout. Je ne te retrouve pas, je désespère. La partie de cache-cache dure trop longtemps. Allez, tu as gagné, tu peux sortir de ta cachette. Je n’ai plus envie de jouer. Sors de ta cachette, tu as gagné. Sors de ta cachette, je t’en supplie, j’ai perdu, j’ai tout perdu. » (p.58-59)
« Au portemanteau est resté longtemps ton manteau rouge. Chaque fois que je passais devant, je mettais le nez dans le tissu pour respirer ton parfum. » (p.64)
« Maintenant, tous les matins, je me réveille seul. Je ne me souviens plus tout de suite de la triste nouvelle, comme si tu remourais tous les matins. « Remourir » est un verbe qui, heureusement, n’existe pas, je l’ai inventé, ça veut dire mourir à nouveau. On dit bien « revivre ». »(p.71)
« Tu n’as pas téléphoné ce mois-ci. Madame SFR a une bonne nouvelle : tu as droit à un report d’une heure. Le mois prochain tu disposeras au total de deux heures. » (p.72)
« Sur mon téléphone portable, j’ai retiré ton nom de mes contacts. J’ai appuyé sur « chercher », j’ai fait dérouler tous les noms jusqu’à « Sylvie », puis j’ai appuyé sur « option » et là j’ai choisi « supprimer ». Mon écran a affiché une terrible question : « Supprimer Sylvie ? ». J’ai hésité longtemps. Finalement, j’ai enfoncé avec émotion la touche « OK ». J’avais l’impression d’être le président de la République qui appuyait sur le bouton rouge de la bombe atomique. Est apparu alors sur l’écran une petite poubelle avec un couvercle sautillant qui s’est posé dessus pour la fermer. Voilà, c’était fait, je t’avais mise à la poubelle. Certainement qu’un jour, Madame SFR, toujours ludique, aura l’idée de mettre, à la place de la poubelle, un cercueil avec un couvercle qui se referme. » (p.74)
« Tout ce que les machines compliquées de la Salpêtrière n’ont pas réussi à faire, moi, je le fais avec des mots. Je te réanime. » (p.81)
« Chaque fois que je vois des affaires à toi, j’ai du chagrin […]. García Márquez a écrit : « Les gens qu’on aime devraient mourir avec toutes leurs affaires. » (p.85)
« Si tu lis tout ce que j’ai écrit, tu vas avoir envie de revenir. Je pense ne t’avoir jamais dit autant de choses agréables, sans doute à cause de mon imbécile pudeur. Autant je suis habile pour dire des choses désagréables, autant les choses agréables restent bloquées dans ma gorge. Maintenant que tu n’es plus là, j’ai moins honte. Et puis j’ai l’impression que c’est plus facile d’écrire que de dire. Le jour […] où sa femme meurt, on se rend compte à quel point on l’aimait. C’est triste de penser qu’il faut attendre le pire pour enfin comprendre. Pourquoi le bonheur, on le reconnait seulement au bruit qu’il fait en partant ? » (p.128)
« Le veuf Jacques m’a appelé ce matin, il va bien, trop bien, il est gêné d’aller bien, un veuf frais ne doit pas aller bien, ou alors il n’aimait pas sa femme. Quelle connerie. On ne doit jamais avoir honte d’être heureux, mais plutôt être fier, c’est tellement difficile. Même quand on est veuf. » (p.131)
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